On la dit dans l’ordre des choses, pourtant. La mort du père ou de la mère avant celle de l’enfant devenu adulte est « normale ». C’est le cours naturel de l’existence, le cycle de la vie, c’est tout ce que l’on veut, mais c’est surtout une étape extrêmement douloureuse, perturbante et qui change en profondeur le grand orphelin qui reste. Qu’elle arrive de façon brutale ou à la suite d’une longue maladie supposée nous préparer, la mort d’un parent, le décès de son père ou de sa mère, est un tournant qui peut rendre la vie de l’enfant adulte complètement chaotique si la douleur qu’elle génère n’est pas comprise, et de fait, pas acceptée. Comprendre pour mieux survivre à ce décès si particulier dans une vie ? Probablement une clé pour un après apaisé…
Un sentiment de vulnérabilité difficilement acceptable
Tout adulte responsable, intégré et indépendant que l’on soit, la perte d’un de ses parents renvoie à une forme d’insécurité très enfantine. Quand bien même ce parent-là n’était pas celui que l’on aurait voulu, quand bien même les relations étaient conflictuelles ou faites de silences et d’absences, ce parent quel qu’il soit a, et aura toujours, une valeur de refuge. Bien sûr, cette représentation est inconsciente. Bien souvent, elle est même absolument niée par l’enfant adulte. Pourtant, elle est bel et bien là, ancrée profondément dans la psyché. De fait, la mort d’un parent c’est aussi la perte de cette image de l’amour inconditionnel qu’il représente, qu’il soit réel ou fantasmé. Que l’on soit en couple ou célibataire, c’est un des piliers fondateurs du sentiment de sécurité qui s’en va, en laissant derrière lui un vide que la peur va s’empresser de remplir, bien légitimement, puisque la peur se faufile toujours dans les creux…
La fin d’un dialogue possible, et le début de la culpabilité
Surtout vrai si la relation était source de conflits, mais également lorsque tout se passait bien. Aucune relation parent-enfant adulte n’est simple, sans incompréhensions ni reproches. Ainsi, le décès d’un parent ferme définitivement la possibilité de la discussion, des explications, et du pardon. Pour intégrer les choses, le cerveau a techniquement besoin de les classer dans un tiroir destiné aux affaires finies, terminées, conclues. Or cette mort si particulière laisse toujours un goût amer d’inachevé, et par définition d’inclassable. L’enfant adulte se retrouve alors complètement seul face à sa colère, face à ses rancœurs, ou aussi face à ses remords. Et dans tous les cas, en vouloir à quelqu’un qui n’est plus est culpabilisant. De même évidemment que rester seul(e) avec sa culpabilité et encore plus culpabilisant ! Et malheureusement, la possibilité de résoudre les choses ou juste de lâcher-prise avant qu’il ne soit trop tard n’existe pas toujours. Si ces situations sont classiques, il ne faut néanmoins pas les minimiser. La culpabilité en bruit de fond permanent peut avoir des conséquences désastreuses sur une vie.
Le rapport au parent restant, source de trouble
Avant la perte de l’un ou de l’autre, des parents se définissent avant tout comme des parents. Ce n’est qu’au moment du décès du conjoint que l’autre, à cause de la souffrance induite par la perte de la « personne de sa vie », redevient exclusivement l’époux ou l’épouse, complètement happé par sa propre douleur d’avoir perdu l’être aimé. De fait, l’enfant adulte vivant son propre deuil avec son lot de souffrances peut se sentir rejeté et incompris par le parent restant. Alors que dans le même temps, il sait qu’il faudra très probablement qu’il s’occupe de ce dernier resté seul. Sentiment de manque de reconnaissance doublé à une responsabilité imposée, l’ensemble peut être extrêmement difficile à gérer. Et la seule clé, le renoncement, est sans aucun doute délicat à trouver. Mais sûrement pas impossible.